Nous avions rencontré Alice Cheylus en février 2016, nous sommes retournés la voir alors que l’année s’achève. Elle est toujours la seule interprète en langue des signes française (LSF) de Corrèze qui exerce en libéral. « On me voit, pose-t-elle d’entrée, mais ce qui est visible à travers moi, c’est leur langue à eux, les sourds, et qu’avec cette langue, on peut dire beaucoup, beaucoup de choses… »
Des expériences fortes, Alice Cheylus en a connues ces dernières années, comme ces échanges, au théâtre de Périgueux, à l’issue d’un spectacle. Thème poignant, émotions fortes, « quand je traduis comme ça, ça me donne des frissons et c’est gagné si les gens les reçoivent, ces émotions, dans les deux sens. »
« Être interprète en LSF, ça a changé mon regard sur le monde, les gens ; mes yeux se sont ouverts… Et depuis deux ans, il y a eu des clins d’œil, des situations qui font du bien. J’ai la sensation que mes yeux se sont encore plus ouverts. C’est nourrissant, ça m’apporte encore, ce regard, de voir le monde qui danse plutôt que celui du son. Aujourd’hui, quand un sourd est en face de moi, je vais être plus attentive, plus réceptive à son message et je vois les effets de ma traduction autour de lui. Un interprète sait alors qu’il est à sa place. »
Dire Facebook en langue des signes, c’est possible, traduire le chinois aussi ! « Comme toute langue, la LSF s’enrichit. Quand on mettra des années à dire une phrase en chinois, eux en une demi-journée, arrivent à se comprendre ! » Bannie de l’enseignement en 1880, la LSF n’a retrouvé droit de cité que dans les années 1980-90. « Aujourd’hui, on n’est plus pour ou contre l’oralisme, apprécie Alice Cheylus. De nouvelles lois permettent aux parents de choisir le parcours de leur enfant. Mais, au regard des entendants, on voit que c’est encore une peur. Il faut accepter de se mettre en danger. Certains acceptent volontiers ; pour d’autres, c’est une galère, alors que les sourds sont continuellement dans l’effort d’aller vers l’autre. Toute différence nous met en situation d’acceptation de l’autre… » |