Primé cette année à Cannes, ce drame en langage des signes est un choc. L’histoire crue, sombre et bouleversante d’ados sourds-muets dans un pensionnat ukrainien.
« Si on se faisait un ciné ?
– D’accord !
– Super ! Il y a un film génial : il est en langage des signes non sous-titré. C’est l’histoire d’un adolescent qui intègre un internat pour sourds-muets en Ukraine. Ça dure 2 h 10. Ça te dit ?
– … »
Gag ? Conversation surréaliste ? Bien au contraire.
Sergey tombe amoureux de l’une des pensionnaires, qui se prostitue avec sa copine sur une aire de chauffeurs routiers. L’objectif de la jeune fille est de ramasser assez d’argent pour aller vivre en Italie. Quand elle se découvre enceinte, elle file chez une faiseuse d’anges. Au vu de la séquence qui suit, Zola, à côté, c’est « Martine à la plage ».
On a l’air de plaisanter, on est bouleversé. Et le terme, croyez-nous, n’est pas dévalué. On est bousculé. Sonné. KO debout sous l’impact de cette audace simple et honnête qui consistait à fourrager dans le réel sans prendre de gants. « The Tribe » est un cinéma qui parle au coeur et au corps sans passer par les mots. Une terrible chanson de gestes qui captive par sa mise en scène (formidable séquence de l’arrivée de Sergey au pensionnat), cogne sans ménager ses coups (le pensionnaire mongolien) et par ce qu’elle décrit, en trame, de la déréliction d’un pays. « The Tribe » laisse abasourdi et totalement sans voix. C’est aussi un conte de fées à sa façon. Yana Novikova, qui incarne l’une des deux jeunes femmes, doit à Adèle Exarchopoulos, Palme d’or pour « Adèle », d’avoir fait le pari de ce film. Lorsqu’elle a découvert le film, Yana a compris que sa crainte d’être nue ne pouvait qu’être balayée et que le cinéma lui ouvrait grand les bras. Il faut toujours une belle histoire dans une histoire sombre.