Aucun élève sourd n’entrera à la rentrée au collège Gérard-Philipe, où une classe bilingue langues des signes française/français écrit vient d’être créée. Julien et Enzo préfèrent rejoindre Paris pour suivre leur scolarité.
Un professeur sans élèves. C’est la situation peu banale dans laquelle va se retrouver à la rentrée un enseignant titulaire du Capes de langue de signes français (LSF) au collège Gérard-Philippe, à Massy. Les deux élèves sourds, Julien et Enzo, scolarisés l’an passé en CM 2 à l’école élémentaire Roux-Tenon, à Massy, n’intégreront pas, comme c’était prévu, l’établissement qui devait ouvrir une classe bilingue – langues des signes française (LSF)/français écrit.
« En 2013, la ministre (déléguée à la Réussite éducative, NDLR) George Pau-Langevin était venue à Massy visiter l’école Roux-Tenon (où une classe bilingue a été créée en 2008, comme à la maternelle Coquelicot, sous l’impulsion de la mairie de Massy, du conseil général et de l’association Les yeux pour entendre, NDLR). Après des mois d’attente, on nous a informés en avril qu’un titulaire du Capes de langue de signes français avait été trouvé, explique Delphine, la maman de Julien. Sauf que son profil n’est pas adapté aux enfants sourds. Ils ont besoin d’une pédagogie adaptée, par matière, avec beaucoup de visuels, un travail approfondi sur l’écrit comme pour l’anglais par exemple ».
En France, seuls cinq collèges possèdent des classes adaptées de ce type, mêlant sourds et entendants, la plus proche se situant à Noisiel (Seine-et-Marne). « On ne peut pas mettre un enseignant pour chaque matière à Massy, rétorque Lionel Tarlet, le directeur académique de l’Essonne. Il faudrait une classe de 30 élèves. Evidemment, ce n’est pas la panacée. Mais on a tenu nos engagements. Le poste est maintenu. Un auxiliaire de vie scolaire (AVS), bilingue en langue des signes, a lui aussi été détaché à Gérard-Philipe ». Des conditions qui restent insuffisantes pour les familles d’Enzo et Julien, qui ont donc choisi d’inscrire leurs enfants dans une école privée, à Paris. « Mon fils devra partir à 6 h 45 pour être en cours à l’heure à 8 h 30. Il reviendra le soir tard. Imaginez la fatigue que cela va engendrer. A leur âge, avec les grèves du RER, ils ne peuvent pas faire sans un taxi », alerte la maman.
Cette habitante d’Arpajon se dit « épuisée, écoeurée » par la situation. « Tout ce qu’on a construit depuis la maternelle s’écroule. Tous les sacrifices pour intégrer nos enfants avec les entendants… », soupire-t-elle.
A la rentrée 2013, 16 élèves sourds étaient scolarisés dans les écoles Roux-Tenon et Coquelicot de Massy. Julien et Enzo, les deux plus âgés, sont les premiers à quitter le premier degré. Que se passera-t-il à l’avenir ? « Il n’est pas question de nous désengager, répète le directeur académique. Nous ne retirons pas de moyens. Le dispositif est toujours en marche ».
L’association les Yeux pour entendre, qui fête ses 10 ans, estime que la situation des élèves sourds se dégrade. « Le bilan est extrêmement décevant. L’Education nationale nous a vite exclus du projet. Je n’arrive pas à comprendre, avoue Sandrine Herman, présidente de l’association, basée à Massy. Dans les hôpitaux, l’Education nationale fait déplacer des enseignants pour les enfants malades. Mais pour les sourds, c’est aux élèves d’aller dans des structures médico-sociales. » « C’est comme si nous étions étrangers dans notre propre pays », s’indigne Delphine.
Le président (PS) du conseil général, Jérôme Guedj, se dit, lui, « déçu » de cette impasse. « Je vais remonter au créneau auprès de l’Education nationale pour que ça se débloque pour les autres enfants. C’est dommage que ça s’arrête là, alors que la filière existe désormais ».
Source : http://www.leparisien.fr © 28 Aout 2014 Massy