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«Mais il n’existe que trois écoles en France qui diffusent un enseignement en langue des signes!», s’insurge Emmanuelle Laborit.

TRAIT POUR TRAIT Emmanuelle Laborit, à l’affiche au cinéma, en tournée au théâtre, continue de se battre pour les malentendants

Sourde de naissance, la comédienne veut faire reconnaître sa langue vivante, celle des signes.

Le château de Vincennes. Un escalier en colimaçon. Deux étages, et on la découvre en haut de sa Tour. Cette Tour du Village est en quelque sorte son royaume, c’est là que siège l’IVT, l’International Visual Theatre. Depuis un an, Emmanuelle Laborit est la directrice de cette compagnie théâtrale et centre socio-culturel des sourds. «Je m’occupe de la gestion de tous les projets théâtraux, de l’enseignement et des travaux d’édition de dictionnaires», explique-t-elle à travers la voix de son interprète.

Emmanuelle Laborit, comédienne sourde profonde de naissance, prend tous ses rôles à cœur. Ceux qu’elle incarne au théâtre, au cinéma, comme aujourd’hui celui d’une religieuse malentendante dans Amour secret de Christoph Schaub, mais surtout celui de militante qui souhaite divulguer et faire reconnaître sa langue vivante et vitale, celle des signes. Belle en jean et veste zébrée. Le regard toujours en éveil, elle s’exprime dans un ballet de gestes fascinants et mystérieux. Il se dégage d’Emmanuelle une force palpable et un sens de la révolte.

Ses mains sculptent l’espace avec puissance et détermination. Des mouvements expressifs, parfois saccadés, abruptes, directs. Miroirs d’une âme forte. «Oui, j’ai cette force-là, mais elle est aussi une fragilité.» Prompte à évoquer son action, pudique lorsqu’il s’agit de parler d’elle.

On revient toujours à l’IVT. Un lien presque ombilical l’y relie. C’est un peu grâce à ce lieu qu’elle est née à la vie, au théâtre et aux signes, car c’est ici qu’elle rencontrait pour la première fois en 1976 des adultes sourds. Elle avait sept ans et apprenait enfin à communiquer, en «signant». «Il y a une histoire douloureuse autour de notre langue. Pendant cent ans, elle a été interdite, aussi bien au niveau éducatif que pédagogique.»

Et pourtant, au siècle des Lumières, il y eut un âge d’or. L’abbé de L’Epée créait en 1755, à Paris, l’Institution nationale des sourds-muets. L’ardente et intrépide Emmanuelle s’est d’ailleurs battue en 1997 pour incarner à l’écran Marianna Ucria, une jeune aristocrate sicilienne sourde et muette qui, en plein XVIIIe siècle, brisait la loi du silence dans La Vie silencieuse de Marianna Ucria de Roberto Faenza. Un film inspiré du roman de Dacia Maraini que son père lui avait offert. Roberto Faenza voulait une actrice «entendante». Emmanuelle allait tout faire pour l’en dissuader et conquérir ce rôle de haute lutte.

En 1994, dans son bouleversant et autobiographique Cri de la mouette (Editions Robert Laffont), elle confiait qu’enfant, elle poussait des cris. «C’étaient, disaient mes parents, des cris aigus d’oiseau de mer, comme une mouette planant sur l’océan.» Son père, médecin psychiatre et psychanalyste, sa mère, institutrice, la surnomment alors «la mouette». Les spécialistes voudront qu’Emmanuelle «oralise» et lise sur les lèvres selon les principes réducteurs imposés au XIXe siècle. En 1993, «la mouette» muette reçoit le molière de la révélation théâtrale avec Les Enfants du silence, dans lequel elle exprime cette rébellion qui la tenaille, celle d’une femme sourde qui tient tête à son professeur, décidé à la faire parler.

Emmanuelle l’indépendante a de qui tenir. Son grand-père est le professeur Laborit, «un anarchiste révolutionnaire». Cette éternelle combattante a également incarné Antigone de Sophocle, à Avignon. Pour la comédienne, il y a deux niveaux de création, l’adaptation en langue des signes et le travail de mise en scène. Sur les planches, comédiens sourds et entendants se mêlaient dans un jeu de signes et de mots.

Actuellement en tournée, elle joue Pour un oui ou pour un non, de Nathalie Sarraute, mis en scène par Philippe Carbonneux. «Il faut trouver un sens, une forme suffisamment proche du français mais qui respecte la culture sourde.» Elle rêve aussi d’adapter Shakespeare en langue des signes, ce qui n’a encore jamais été fait en France.

Sans relâche, elle continue sa bataille. Il y a tant à faire. «Je fais partie d’une communauté mais pas d’un ghetto.» C’est seulement en 1991 que la loi Fabius reconnaissait le droit aux jeunes sourds et à leur famille de choisir entre une éducation bilingue (langue des signes et français ou orale). «Mais il n’existe que trois écoles en France qui diffusent un enseignement en langue des signes!», s’insurge-t-elle. Et de donner l’exemple des interprètes qui ne sont pas pris en charge par l’Etat. «La langue des signes n’est pas reconnue officiellement comme une langue à part entière. Les députés européens ont pourtant voté une recommandation soulignant que c’était une langue vivante qui devait avoir les mêmes droits que les autres.»

Après de nombreuses péripéties, l’IVT quittera définitivement le château de Vincennes en septembre 2005 pour s’installer dans l’ancien théâtre du Grand Guignol, dans le 9e arrondissement. Tout sera enfin regroupé, ateliers, théâtre et enseignement. Une belle victoire. Car pour elle, la France, pays des droits de l’homme, est un paradoxe. «On est très doué pour parler d’égalité, de fraternité, sans voir les subtilités, les différences de chacun. Nous sommes trois millions. Il nous faut une identité claire qui nous permettra de mieux nous intégrer.»

Source : Le Figaro – 15/12/2003

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