Les sourds font beaucoup parier d’eux cette année. La pièce d’Emmanuelle Laborit, » Les enfants du silence « , a reçu un Molière. Nicolas Philibert leur a consacré un très beau film, » Le pays des sourds « . Et voilà que, à Rennes, de jeunes sourds présentent une pièce, » Rencontre « . L’affirmation d’une culture à part entière.
Surréaliste ! Dans la propriété qu’occupent les Transmusicales à Rennes, s’est installé le centre socio-culturel des sourds. Accords de rock d’un côté, silence total de l’autre. Une jeune femme énergique arrive en short: Sandrine Herman. Mandatée par là Fédération nationale des sourds, elle est venue de Tours, il y a un an, avec son ami, Philippe Angéle. « Pour réveiller les sourds de Bretagne », traduit l’interprète.
Figés, les entendants
Ancienne élève de l’école de Rillé, à Fougères, Sandrine a 21 ans. «J’ai eu de la chance, explique-t-elle avec des gestes précis. En 1980, on ne nous attachait plus les mains dans le dos pour nous empêcher de parier la langue des signes. » Pour Philippe et Sandrine, les entendants ont commis un véritable « génocide culturel », au congrès de Milan qui, en 1880, avait interdit la langue des signes dans les écoles. « Alors que, auparavant, sourds et entendants étaient sur un pied d’égalité, on a voulu nous forcer à parler », déplore Philippe. Handicapée ? Ce n’est pas du tout ainsi que Sandrine se voit. Debout, elle » signe » à toute allure, comme pour rattraper un siècle d’oppression. « Pourquoi nous mettre des appareils ou des implants ? Mol, je ne veux pas entendre. Je suis très bien dans mon monde. Aussi bien que vous, les entendants, dans le vôtre. Qu’est-ce qu’on veut? Faire disparaître les sourds de la surface de la terre ? Est-ce qu’on va aussi arracher la peau des Noirs pour qu’ils soient blancs ? »
Vendredi à Rennes et dimanche à Fougères, Sandrine Her-man présentera sa première pièce, » Rencontre » (1). Elle y tient le rôle principal. A ses côtés, neuf sourds jouent le rô-!le… d’entendants. « C’est très difficile pour eux, témoigne-t-elle. Ce sont des gens très expressifs. Et là, ils sont obligés d’avoir une attitude figée. Comme les entendants….. Si nous les ignorons,
eux nous regardent. Avec une acuité dont nous n’avons pas idée.