Suite à un article publié dans ces colonnes et relatant l’aventure du club des sourds de Reims, un lecteur de 90 ans nous écrit. Petit conte d’hiver.
Au départ, il y a un article, paru dans notre édition du 31 janvier, intitulé « Ces autres cadors du ballon rond » et qui relatait les récents succès, d’une ampleur encore inédite en quatre-vingts ans d’existence, du club sportif des sourds de Reims (CSSR), vainqueur l’an dernier de la Coupe de France. Quelques jours plus tard nous parvient une lettre, accompagnée d’une petite photo noir et blanc. Sur le cliché, des hommes aux visages anguleux courent sur un stade d’athlétisme. L’écriture est soignée. C’est celle de François Chatinet, 90 ans, Rémois à qui la lecture de l’article a soudainement fait remonter moult souvenirs enfouis depuis quelques décennies.
Coup de téléphone. À l’autre bout du fil, une voix grave et quelque peu fatiguée qui raconte. Avant la guerre de 14, un homme et une femme. Un enfant naît : Marcel Gosseau. Comme des millions d’autres, le mari parti combattre ne reviendra pas, pour toujours porté disparu. En 1923, la femme rencontre un autre homme. « Puisque c’était une veuve de guerre, elle a eu le droit de se remarier ». De cette nouvelle union naîtra la même année François Chatinet. Son demi-frère, sourd et muet, joue au football avec le CSSR qui, en 1933, vient d’être créé. François Chatinet, lui, a la chance d’entendre et de parler. Celui qui, souvent, complète l’équipe du CSSR, apprend peu à peu le langage des signes.
De son côté, Marcel Gosseau, « mon frère», s’illustre sur l’anneau des pistes d’athlétisme. Jusqu’à monter sur le podium du 10 000 mètres aux championnats du monde des sourds et muets de Stockholm, en 1939. Le second conflit mondial fera déménager la famille dans l’Aisne. Là où naîtra, à Chauny en 1962, son petit-fils. Un dénommé Martial Gayant qui, plus tard, portera le maillot jaune du Tour de France et deviendra champion de France de cyclo-cross. Au téléphone, des noms, des émotions à foison mais aussi des questions : « Le billard au local du club, y est-il toujours ? On y jouait souvent ! »
Aujourd’hui, François Chatinet aimerait donner « des timbres-poste en quantité à un sourd collectionnant ceux-ci ». Il justifie : « La solitude d’un sourd, ça pèse, ils sont concentrés sur leur malheur… J’ai pu trop souvent le constater. L’autre jour, je faisais mes courses au Leclerc. À la caisse, il y avait un sourd devant moi. Je lui ai parlé un peu. C’était bien, je crois. À la fin, il m’a serré la main. »